vendredi 24 mai 2013

Voyage en viticulture et en peinture : visite de chais 4




Dimanche 5 mai.  Rendez-vous à la Tour du Pouilly Fumé pour une visite scénographiée du musée consacrée au vignoble. C’est dans le plus grand silence que les artistes, venus nombreux de bon matin, ont regardé deux films racontant l’histoire de ce vignoble et le travail des vignerons au fil des saisons. Saluons, au passage, l’excellent film réalisé par un canadien qui a planté une caméra, pendant un an, au raz d'un pied de vigne pour capter tout ce qu'il vit et endure. Cerise sur la gâteau : la visite s'est terminée par une descente dans la "Cave aux arômes. Là, sont exposés une dizaine de ballons de verre reconstituant les familles aromatiques des Pouilly Fumé à base de produits naturels. Chacun a mis son nez dedans pour humer les subtils arômes et découvrir l'"arôme mystère". Très instructif et amusant.























Domaine Seguin. Réticente au départ « par timidité » et ne « sentant pas les choses », l'artiste Ariane Metrich est en fait très contente de cette manifestation qui lui permet de rencontrer des gens « non connaisseurs d’art » et de découvrir leur goût pour la peinture. Avec la vigneronne Sophie Seguin, timide aussi, le contact s’est fait tout naturellement. Elles se sont tout de suite « accordées pour l’accrochage » dans la salle d’accueil et de dégustation du chai, transformée pour l’occasion en véritable galerie d’art. On ne se lasse pas de regarder et de pénétrer dans ces grands paysages inspirés par la nature, le milieu urbain ou encore des scènes de guerre. Entre l’abstrait et le figuratif, formes et couleurs envahissent toute la toile. Ariane Metrich travaille à partir de photos, qu’elle retravaille numériquement avant d’en obtenir une composition projetée sur une toile prête à peindre selon son inspiration du moment.
Sophie Seguin et Ariane Metrich


















Autre ambiance dans le chai du Domaine ChâtelainVincent et Brigitte Barberat ont choisi d’exposer le travail de Monique Lucas « pour ses couleurs et ses grands formats. « L’accrochage s’est génialement bien passé », commente l’artiste qui avoue « avoir eu des angoisses à l’arrivée devant l’immensité du chai et l’absence des vignerons » occupés par leur travail. Finalement, ils ont accroché ensemble les œuvres aux box. Monique Lucas travaille l’image, essentiellement à partir de photos, qu’elle « oublie » ensuite pour créer une composition à partir de « copier-coller de choses infimes » provenant, par strates, de sa vie, de son ressenti, d’expositions… ». Pour l’artiste et le vigneron, trois éléments les rapprochent : le travail sur la matière, le temps et la créativité. « Notre travail ne débute jamais de la même façon, mais le séquençage des tâches reste le même. L’on déploie sa créativité pour nuancer le résultat. Celui ci ressort d’une alchimie entre le quotidien, l’expérience, les connaissances et la nouvelle aventure que représente la création de l’année. Elaborant des vins issus d’assemblages de terroirs uniques, le vigneron crée des cuvées », remarque Vincent Châtelain qui se considère comme un "artiste d’œnologie" .
Vincent Barberat et Monique Lucas























Il est temps maintenant de visiter les chais de la ville de Pouilly-sur-Loire. Au bord de la route se tient le caveau de dégustation du Domaine Tinel-Blondelet, très joliment arrangé par Annick, la vigneronne. Sensibilisée à l’art par des amis, elle a  tout de suite aimé les natures mortes de Pascal Pastiau dont l’accrochage s’est fait tout naturellement en résonnance avec les teintes de la pierre et les objets du caveau.
















Pour découvrir ensuite l’exposition centrale de l’artiste, il faut descendre dans le chai et affronter le froid (11°). Françoise, la femme de l’artiste et Anick Tinel-Blondelet ont tout prévu : des châles et des pulls sont à disposition des visiteurs. C’est un voyage au Népal, effectué en période de mousson, qui a inspiré lé travail de l’artiste. « Ce qui m’a frappé, là bas, c’est le paradoxe entre l’abondance de l’eau, boueuse, charriée par la rivière Kali Kandaki, et le manque d’eau des populations, que l’on voit sans cesse aller s’approvisionner auprès de points d’eau dans les villages et transporter seaux et jerricans. »
Pour faire écho aux peintures, la vigneronne et l’artiste se sont livrés à une « installation » composée de seaux et bassines utilisés  par les vignerons. Pour le plus grand plaisir d'une petite fille qui s’est beaucoup amusée à s’emparer des seaux et à les déplacer dans toute la salle.
Un panneau composé de photos du voyage permettait au visiteur de capter les images, paysages, couleurs, objets qui ont nourri le travail de l’artiste. Une belle exposition commentée par l’artiste et sa femme.
Pascal Pastiau et Anick Tinel-Blondelet













Domaine de Bel Air. Entre les couleurs vives des tableaux et les dessins sur papier, je ne sais pas par où commencer cette exposition harmonieusement accrochée dans le caveau de dégustation de Katia Mauroy-Gauliez et de Cédric Mauroy.  Jusqu’à ce que mon regard soit attiré par un œil qui me fixe et que je retrouve quasiment dans toutes les œuvres. L'artiste Daniela Jordanova aime confronter les mondes réel, virtuel et imaginaire, représenter des figures mi-humaine, mi-animale « pour faire apparaître un monde qui existe au-delà de notre perception. » Ce qui l’intéresse, « c’est l’homme avec ses angoisses, ses rires, ses espoirs ». Elle aimerait que ses tableaux aux couleurs vives donnent de l’énergie.  Dont acte !
Emballée par le principe de la FIAAC en Pouilly Fumé, Daniela Jordanova n’en était pas moins sur la réserve : « mes œuvres vont- elles être mises en valeur, vont-elles se plaire et s’exprimer dans ces murs ? » De son côté, Katia Mauroy-Gauliez, partante pour cet événement « qui dynamise Pouilly-sur-Loire », était aussi réticente : « nous vivons dans des univers diamétralement opposés, nous vignerons dans le concret, soumis aux aléas de la nature et du commerce et à un milieu très codifié  ; les artistes dans un univers …artistique ! » Cette confrontation lui a finalement permis de trouver des points communs : la sensibilité à la couleur (la robe pour le vigneron), un travail élaboré par étapes ou par cycles, la recherche d’une matière première, d’une émotion ou d’une idée, l’importance de trouver des lieux adaptés (coteaux et lieux d’exposition) et enfin la nécessité pour artistes et vignerons de vendre, et donc de nouer des contacts. Grâce à cette expérience, Katia Mauroy-Gauliez a tout simplement changé de regard sur les artistes. Quant à Daniela Jordanova, la FIAAC lui a permis de belles rencontres avec des vignerons et un autre public, la découverte de l’art de faire du vin et la région. « Un vrai bonheur ! »
Katia Mauroy-Gauliez et Daniela Jordanova













Quelques pas plus loin, la porte du Domaine Cédrick Bardin est ouverte sur une ancienne cour pavée et un ravissant jardin. C’est là qu’Eve Domy expose ses œuvres. Le couple de vignerons et l’artiste ont soigné l’accrochage dans l’espace réservé au stockage. Eve Domy peint « avec ses tripes » et avec toutes sortes de matériaux (goudron, pigments, toile de jute, papier de soie, … « Souvent, c’est le matériau qui me dicte une série de toiles. J’aime me laisser surprendre par l’accident dont je vais tirer profit.  Il reste toujours, sur le support,  une trace, une empreinte qui va m’inspirer. »

Cedric et Nelly Bardin et Eve Domy






















Marie-Laure Wallon
Texte et photos
ml.wallon@free.fr
06 82 84 25 11

jeudi 16 mai 2013

Voyage en viticulture et en peinture - Visites de chais 3

Samedi 4 mai. Au domaine Marchand, c’est une famille au grand complet qui expose le travail de Stéphanie Ludet. En l’absence de Clément, ce sont ses deux frères et sa femme qui nous accueillent dans un dédale de trois petites caves sombres. Dans leurs entrailles sont exposées les œuvres de l’artiste venue de Lima. Dans la précipitation de son départ, Stéphanie a emporté des petits formats encadrés (pastel gras) et des papiers (techniques mixtes).
Son œuvre figurative très intimiste, nourrie de ses nombreux voyages (Vietnam, Maroc, Chypre, Afrique, Inde, Pérou) et de son vécu a séduit la famille qui a choisi cette artiste à l’unanimité après avoir visionné son travail et écouté ses vidéos sur Internet.
« Ce qui nous a plu d’emblée, c’est sa vie faite de voyages, mais c’est aussi le fait d’accueillir chez nous une artiste venue d’ailleurs : lui faire partager notre vie, apprendre sur la sienne et sur sa vision de l’art. Sa peinture nous a émus par son imaginaire et par ses couleurs chaleureuses. »
Pour cette famille pour qui l’art contemporain n’était a priori pas un domaine de prédilection, l’expérience est une réussite. Une vraie rencontre. L’émotion est à fleur de peau chez l’artiste, dans ses tableaux et dans le regard des vignerons.
« On laisse le vin se faire le plus naturellement possible. On essaye de laisser s’exprimer le terroir avec beaucoup de finesse et de féminité », explique l’un des frères. C’est exactement ce que vit Stéphanie Ludet dans l’acte de peindre : Le peinture est en moi, je suis portée par le moyen d’expression. Surgissent sur le papier des visages et des corps issus du passé et du présent.»
Le prix Zeuxis a ému aux larmes Madame Marchand. Quant au père, il a « adopté » 
Stéphanie.

En haut, la famille Marchand sans le père qui faisait la sieste et sans Clément, en bas Stéphanie Ludet entourée de son père 



































Monsieur et Madame Marchand, dans leur chais, le soir de la remise du prix Zeuxis
































Nous quittons le chai, retrouvons la lumière, et nous nous rinçons l’œil devant la beauté des paysages, bords de Loire et champs de colza, avant de découvrir avec un œil neuf le très beau travail d’aquarelle de Leslie Greene.




















Autant le chai du domaine Marchand était ancien, sombre et petit, autant le hall de réception du Domaine Gaudry est grand, moderne et très lumineux. Et le travail de Leslie Greene est lumineux. Encore une belle alchimie entre le lieu d’exposition et les œuvres, le vigneron et l’artiste. « J’aime travailler la sensation, j’adore la légèreté, la spontanéité du geste. Avec l’aquarelle, on ne peut retravailler. J’aime cette posture entre une sorte de contrôle et l’absence de contrôle. J’aime aussi la qualité des couleurs de l’aquarelle », commente cette artiste née aux Etats-Unis.
De son côté, Nicolas Gaudry, vigneron, réalise un vin différent de son père au niveau de la culture des sols, de la sélection des terroirs et de la vinification. « Je crée un vin qui me ressemble tout comme Leslie essaye de retranscrire des formes et des couleurs à son image » Dans sa quête d’obtention d’un résultat pour que la vigne s’exprime au mieux, il oscille, lui aussi, entre le contrôle et l’absence de contrôle. Entre les deux, une connivence est née. Ils se retrouvent chacun dans la solitude de la création et le partage du produit ou de l’œuvre. Ensemble, ils ont visité d’autres chais. « C’est sympa de voir des vignerons heureux de se rencontrer, de déguster ensemble, d’échanger autour de leurs vins et de peinture aussi ! », raconte Leslie Greene.
Un petit verre avant de repartir et d’humer un massif floral qui sent délicieusement bon à l’entrée du chai. C’est là que nous rencontrons des visiteurs motivés par la FIAAC dans les chais en Pouilly Fumé qu’ils parcourent à vélo. Les commentaires vont bon train pour tenter de découvrir les arômes et le nom de ces fleurs. Ce sont des boules de neige.
Leslie Greene et Nicolas Gaudry




























































A nouveau le jaune éclatant des champs de colza et la chaleur de l’été. En route vers le Domaine Caïlbourdin. A nouveau la surprise. Le chai est très grand et moderne. L’exposition de Marine Vu se déploie dans plusieurs salles jouant des cuves et des box pour aboutir à un caveau aux couleurs chaudes, habillé d'un mur de pierres et dans lequel des barriques de vins ont été installées.
Un bel accrochage concocté par Alain Caïlbourdin, amateur d’art, et l'artiste. L’alliance entre les couleurs des toiles et les couleurs du chai est saisissante. Un heureux hasard. Marine Vu « interroge la relation de couple (Barack et Michelle Obama, DSK et Anne Sinclair, des célébrités mais aussi des anonymes) et la complexité des liens intimes entre présence et absence. Qu’est ce qui se cache, qu’est ce qui se montre ? » L’artiste travaille essentiellement à partir de photos. « Chaque image est ambiguë, porte le contraire de ce qu’elle pourrait représenter. »
Pour Alain Caïlbourdin, « les métiers de vigneron et d’artiste sont proches par leur côté intuitif, empirique et technique. Goûter un vin et apprécier une œuvre d’art relève d’une même approche, perceptive d’abord, puis compréhensive. » Rien de tel qu’une dégustation complète de ses quatre cuvées pour percevoir et ressentir les goûts, puis s’intéresser aux assemblages. Il nous présente les « Cris » comme un vin « tendu » … Comme une toile de peinture …


























































Au Domaine de Chauveau sur la butte de Saint-Andelain, nous découvrons le domaine où Benoît et Emmanuelle, passionnée de chevaux, accueillent l’exposition d’Arnold Livingstone. Une explosion de couleurs jaillit de tous les tableaux au format carré. La couleur dans tous ses états, lissée, brossée, griffée, raclée, projetée, mate, brillante. L’artiste se laisse aussi inspirer par des mots, des objets, des animaux ou des souvenirs de voyages.
Très heureux de cette expérience, l’artiste et sa femme nous racontent leur étonnement d’avoir vu tant de monde en ce samedi entrer dans le chai. « Ces trois jours ont été intenses aussi bien dans la relation avec les vignerons qu’avec les visiteurs. Pour certains, c’était la première fois qu’ils entraient dans un chai et qu’en plus ils découvraient de l’art abstrait. L’occasion d’échanges très riches artistiquement et humainement. »
Arnold Livingstone entouré d'Emmanuelle et de Benoît Chauveau


































Retour à Pouilly-sur-Loire


Marie-Laure Wallon
Texte et photos
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mercredi 15 mai 2013

Voyage en viticulture et en peinture - Visites de chais 2


Vendredi 3 mai. Domaine du Bouchot. Cela faisait des années que Rachel Kerbiquet souhaitait exposer de la peinture dans son chai. Il ne lui restait plus qu'à convaincre son mari, Pascal, plutôt réticent car à priori peu sensible à l’art. Conquis, il a visité les 19 expositions dans les 19 chais.
Le couple s’est investi dans l’accrochage. Une opération délicate car il fallait donner envie au visiteur dès le caveau de dégustation pour aller ensuite dans la cave de vinification et de stockage. Difficile d’évoquer le travail de Luc Babin en quelques lignes car les œuvres exposées relèvent de trois expériences. Je retiens notamment une série de paysages en Auvergne transfigurés par la neige, accrochées sur les box. Ce fut un grand plaisir d’écouter l’artiste expliquer l’origine photographique de ce travail, sa cuisine personnelle à partir de mortier de sable, de jus de pigments « noir de vigne » très opaque pour contraster avec le blanc, les différentes couches de décantation…. Une fois de plus les similitudes entre l’art et le vin apparaissent tout naturellement à Rachel Kerbiquet : «pour faire un bon vin, le vigneron travaille à partir de sa sensibilité, de ses sensations, des ses idées. Il doit en plus s’adapter au millésime ». Une dégustation de vins « bio », spécificité du domaine du Bouchot, et nous voilà reparties. 

Rachel Kerbiquet et Luc Babin
Luc Babin révélant le processus de sa création artistique


















































Au domaine de Congy une belle complicité entre l’artiste, Roger Abate, et le vigneron, Christophe Bonnard, nous attend. C’est un vrai bonheur que d’être surprises à chaque fois que l’on entre dans un chai : travail artistique, accrochage, ambiance, complicité artiste-vigneron.
D’un chai à l’autre, l’on passe dans des univers artistiques et des lieux d’exposition très différents et à chaque fois l’alchimie opère ! D’où l’importance d’aller visiter tous les chais.
Christophe Bonnard a choisi d’exposer les œuvres de « son » artiste dans son caveau de dégustation. Ces deux là se sont bien trouvés. « Je suis un matheux, j’aime bien ce qui est carré, j’aime bien les signes, et l’artiste est carré », commente Christophe Bonnard. Aucune rencontre artiste-vigneron n’est due au hasard !
Roger Abate, qui se présente comme un inventeur de formes, a créé un alphabet de signes (mot, lettre, grafitti, symbole) que l’on retrouve dans ses tableaux intégrant aussi du figuratif. L’accrochage sied bien à son travail. Pour lui, « cette expérience de collusion entre l’art et le vin, la découverte du Pouilly Fumé, l’hébergement chez le vigneron est tout simplement extraordinaire. »
Nous passons un très bon moment dans ce caveau intime et chaleureux entre dégustation de vins et écoute des commentaires des compositions plastiques.

Roger Abate et Christophe Bonnard















































Bel accrochage dans le domaine BlondeletLaurence Bernard, plasticienne artiste textile, présente dans la salle de dégustation quelques œuvres d’une série intitulée Fé-mi-ni-té. Inspirée par son travail, la vigneronne, Christine Blondelet, a ressorti de vieilles nappes de famille brodées pour valoriser les œuvres de l’artiste.
Au sous sol, dans l’imposante cave de vinification que l’on découvre d’un coup d’œil en descendant un escalier, l’on est saisi par de grands nus dessinés, peints et brodés, accrochés aux cuves. 

Christine Blondelet et Laurence Bernard

































Marie-Laure Wallon
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